|
Haku Michigami - Judoka
|
|
Geesink,
c'était comme une bouteille de bière |
J'appréciais
énormément le sérieux de son caractère,
et je le fis s'endurcir sans merci |
Devant
sa victoire aux Jeux Olympiques de Tokyo, mes sentiments étaient
mitigés |
|
 |
|

Michigami (centre) observe attentivement le deroulement du
match d'Anton Geesink aux Olympiades de Tokyo |
Promu dès 1955 au
plus haut rang de conseiller technique de la Fédération
Hollandaise de Judo. Parmi ses disciples se trouvait alors
celui qui allait dans la suite imposer sa loi et mettre le
monde du judo japonais en état de choc : Anton Geesink. |
 |
|
 J'enseignais
bien en Hollande, mais ce n'était tout de même
qu'au rythme d'un voyage tous les deux mois. D'abord parce
que je continuais d'enseigner en France. Et c'est ainsi que
me vint l'idée de façonner un judoka modèle.
 Ainsi,
me dis-je, il suffirait aux autres de l'imiter pendant que
je serais absent. Mon choix se fixa sur un jeune de 1,98m,
82 kg, une tête et un cou interminables sur un corps
frêle et élancé. Je trouvais qu'il ressemblait
à une bouteille de bière. Ainsi se présentait
Anton Geesink à vingt ans. Ce qui m'avait frappé
chez lui c'était le sérieux de son caractère.
C'est que, en fait, je n'en voyais pas d'autre qui pût
servir mon dessein.
 Les
Hollandais sont connus pour être un peuple sérieux,
appliqué et travailleur, mais sur ce point, il battait
ses compatriotes d'une bonne longueur. Lui commandait-on de
courir, il courait trois fois plus que les autres. Si vous
ne lui disiez pas d'arrêter ses "uchikomi", il aurait
continué toute la nuit. A ce régime, son cou
et son corps minces ne tardèrent pas à s'épaissir.
 Certains
épisodes sont révélateurs de son tempérament.
Son domicile étant à trente kilomètres
du centre d'entraînement qui se trouvait à Amsterdam,
il arriva que sa voiture tombât en panne. Or, en Hollande,
le règlement interdit aux retardataires de monter sur
les tatamis. Ne faisant ni une ni deux, il abandonna son véhicule
inutile sur le bord de la route, courut chercher sa bicyclette
chez lui et pédala à toutes jambes jusqu'au
centre d'entraînement.
 "Ne
monte pas sur le tatami!" aboya l'entraîneur hollandais
en regardant sa montre. Apprenant la cause de son retard,
je m'interposai et lui permis de fouler les tatamis. Bref,
il était toujours comme cela. Il faisait toujours tout
"à plein collier", si bien que sa technique ne pouvait
pas ne pas faire des progrès fulgurants.
 Tous
les gens des sphères du judo hollandais étaient
farouchement opposés à cette formation de privilégié
surdoué. Il faut dire qu'a l'époque la Hollande
conservait pas mal de vestiges de la conscience de classes,
et que Anton Geesink étant ouvrier du bâtiment,
son père débardeur sur les canaux, il appartenait
à la "basse classe" me représentait-on. Voilà
bien une chose que je ne pouvais absolument pas admettre.
"Bon alors si vous n'entrez pas dans mes vues, rétorquais-je
à leurs objections, je ne viens plus. Point!" Mes menaces
eurent finalement raison de leurs réticences. Et ce
fut ainsi qu'il me fut donné de soumettre tout à
loisir Anton Geesink à un entraînement féroce
et qu'il devint ce judoka qui ignorait la défaite.
En 1961 Anton Geesink remporte le Troisième Championnat
Mondial (Paris). En 1964, il remporte également en
"ippongachi" toutes les rencontres toutes catégories,
arrachant pour la première fois sa suprématie
au Japon, sanctuaire jusque-là inviolé du judo.
 A
dire vrai, mon sentiment était assez mitigé.
Car ce qui m'avait incité à former des judokas
à l'étranger ce n'était certes pas pour
leur faire rafler des titres, que ce fût dans les championnats
mondiaux ou aux Jeux Olympiques.
 Si
je m'étais transporté au-delà des mers
c'était animé du désir de faire saisir
aux gens l'esprit de l'authentique bushidô, l'idéal
chevaleresque du Japon des temps anciens. Mon intention n'était
certes pas de tremper des champions qui allassent plonger
le monde du judo japonais dans le chaos.
 Par
certains aspects, le caractère d'Anton Geesink manquait
parfois d'énergie. Ainsi, pour les Jeux Olympiques
de Tokyo j'avais emmené une centaine de judokas français
à qui je faisais visiter la ville de Kamakura (ville
historique à 50 km de Tokyo) et dormir dans les temples,
car mon intention première était de regarder
le match à la télévision.
 Et
ne voila-t-il pas que Anton Geesink me fit savoir, par l'entremise
d'un tiers, qu'il était inquiet et souhaitait que j'assiste
à son match. Je me précipitai donc dans la salle
où avait lieu la rencontre et j'eus ainsi tout le loisir
d'en observer le déroulement de tout près.
 Par
contre ce qui me fit énormément plaisir, ce
fut l'attitude d'Anton Geesink après qu'un "kesakatame"
eut signé sa victoire décisive sur Kaminaga
(Akio) dans la rencontre finale. Retenant d'un geste les Hollandais
délirants de joie qui voulaient monter sur le tatami,
il salua profondément Kaminaga, son adversaire d'il
y a un instant, le Prince Héritier et la Princesse,
la Reine de Hollande, et quitta dignement la salle.
 Car
ce dont je venais d'être témoin n'était
ni plus ni moins qu'une sobre, mais combien éloquente,
manifestation de cet esprit du bushidô (idéal
chevaleresque du Japon) dont je m'étais toujours fait
l'inlassable missionnaire. Et je pense que tous ceux à
qui il fut donné d'assister à cette scène
durent trouver qu'ils se trouvaient devant un fier judoka.
|
|
Propos recueillis par Kazunori Iwamoto, Section
Sportive
|
|