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Haku Michigami - Judoka
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Il
entame à Shanghaï une suite ininterrompue d'exploits
glorieux outre-mer, dont la projection dans les airs d'un
marin de 2,15m. |
On
a les types "sensitifs" et les "répétitifs"
: les réactions diffèrent selon les pays. |
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Ma devise etait "Montre avec ton corps!" |
Après avoir été
diplômé de l'Ecole Busen de Kyoto, Michigami
fit un bref passage comme enseignant au Lycée (dans
l'ancien système scolaire d'avant-guerre) de Kôchi
avant d'être appelé sous les drapeaux. Une
vilaine blessure au genou droit suite à une chute
dans une tranchée au cours d'un exercice de nuit
lui valut trois mois de congé de convalescence. A
partir de 1940, il devient instructeur de judo à
l'Université de l'Institut Tôa Dôbun
Shoin de Shanghai (cf. 1er article). C'est à partir
de là que va se constituer la légende des
actions chevaleresques de Haku Michigami outre-mer.
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 J'étais
à peine nommé à mon poste d'instructeur
que le Consulat Général du Japon à Shanghaï
appela le recteur de l'Université Tôa Dôbun
Shoin. En substance il s'agissait de ceci : ne pouvait-il
pas dépêcher un professeur de judo pour instruire
les marins du "Conte Verde", un bâtiment de la Marine
de Guerre italienne qui mouillait en ce moment dans le port
de Shanghaï.
 On
se rappellera qu'à l'époque l'Italie et le Japon
étaient des pays alliés. "Allez-y, me conseilla
le Recteur, il y va également de l'amitié nippo-italienne...
" Lorsque je montai à bord quelques jours plus tard,
dix énormes lascars " ... qui avaient, m'assura-t-on,
quelque peu tâté du judo" m'attendaient. Un marin
particulièrement grand -2,15 mètres me fut-il
précisé - me parut assez impressionnant. On
me signala obligeamment que c'était là une belle
"bête" qui avait entre autres remporté le Championnat
de Lutte contre la Flotte Américaine du Pacifique,
et que tous les maîtres de judo japonais avaient poliment
décliné de se frotter à lui.
 On
allait bien voir ça! On ouvrit donc sans tarder les
"hostilités" sur le pont du navire. Je faisais, et
fais toujours, pas plus de 1,73 mètre. Mon adversaire
avait les bras tellement longs qu'il était hors de
question d'atteindre le col de son vêtement, force m'était
d'empoigner ses manches. Ouchigari? kouchigari?
Sans effet! Bon, essayons au contraire de garder nos distances
avec cet échalas et essayons un tomoenage...
Ca y est! il dévissait, il était parti en un
superbe vol plané!
 L'interprète
était déjà sur moi : "Ne le projetez
pas ainsi, le fleuve ne rend jamais ceux qui y tombent!" Le
bâtiment de la marine italienne se trouvait effectivement
à l'ancre sur le Huanpu là où des courants
et remous étaient tels que les gens qui tombaient à
l'eau ne refaisaient jamais surface. Je me bornai à
rétorquer que c'était avant tout la taille et
la posture de l'adversaire qui décidaient de la prise
à appliquer, et je m'essayai tout de même à
des prises moins spectaculaires pour envoyer valser mes autres
adversaires.
Le fait de n'avoir jamais remporté que des victoires
depuis son arrivée en France en 1953 contribua énormément
à asseoir la confiance qu'on avait en lui comme instructeur.
 "Il
suffit que tu sois battu une fois à l'étranger
et tu peux faire une croix sur ta vie de judoka" m'avait bien
mis en garde Zôshunosuke Kawaishi, alors conseiller
de la Fédération Française de Judo. Sans
doute devait-il avoir vu beaucoup de gens à qui cela
était arrivé, quant à moi je décidai
de ne pas trop me tracasser sur cette question. Car esquiver
les défis est contraire à l'esprit du judo.
 Au
début que j'étais en France, c'était
épouvantable. C'était l'époque où
traînait partout cette atmosphère de l'époque
où l'Europe faisait peser son ascendant colonial sur
la plupart des pays d'Asie. On était du reste assez
sceptique sur cette réputation d'invulnérabilité
des judokas japonais. Si on n'apportait pas ses preuves en
alignant des victoires, il était hors de question de
devenir instructeur.
 Aussitôt
que se répandait la réputation d'être
un type imbattable, c'était pratiquement tous les mois
que tombaient les défis. On n'avait pas plutôt
mis le pied sur les tatamis qu'on entendait fuser les cris
"Descends le Japonais!" Bon, il fallait se mettre à
l'ouvrage, et quand on avait montré qu'on pouvait descendre
dix, voire douze gaillards d'affilée, c'était
un immense soupir admiratif, "Oh!" qui parcourait l'assistance.
Et le manège allait se répétant à
l'infini.
 Jamais
une seule fois, je n'ai été battu. Il y avait
bien de hauts gradés, mais envoyer valser quelqu'un
qui ne sait pas trop ce qu'est le judo n'est pas tellement
difficile. D'abord ils se creusaient la tête à
essayer de comprendre comment un petit bout d'homme comme
moi parvenait à balancer aussi rapidement des grands
gabarits. En fait, ce n'était pas bien sorcier. Il
suffisait de parer ou esquiver la prise de l'adversaire et
d'utiliser à plein la force de réaction pour
le jeter. C'est ainsi que j'enseignai un judo d'"action-réaction"
qui n'était absolument pas basé sur la force.
 Ce
que j'ai bien senti au cours de mon enseignement c'est que
les réactions des individus différaient selon
les pays. Vous enseignez une nouvelle prise, si c'est à
un Français, il va l'essayer sur le champ pour déclarer
aussitôt qu'il a compris ; ce sont ceux qui privilégient
la "sensation". Un Hollandais, lui par contre, va se lancer
dans une séance de "uchikomi" (répétition
inlassable d'un enchaînement de gestes à vide)
pour apprendre la nouvelle prise, l'inculquer à son
corps, pendant vingt minutes, une demi-heure, parfois davantage
si vous ne lui dites pas d'arrêter. Or, cet Anton Geesink,
celui qui allait devenir dans les années soixante la
bête noire du Japon, alors sanctuaire inviolé
du Judo, était sans conteste le parangon même
ce deuxième type. |
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Propos recueillis par Kazunori Iwamoto, Section
Sportive
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