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Juillet 23, 2002
Haku Michigami - Judoka
A l'Ecole Busen de Kyoto l'on acquérait un corps réagissant par des prises correspondant à l'adversaire
L'Ecole Busen des arts martiaux de Kyoto interdite par le Quartier Général, ce fut le Kôdôkan qui marqua la tendance
La cloche d'alarme pour préserver le judo traditionnel ne fut pas entendue


Au café avec ses disciples (4me a partir de la droite)
Né en 1912 à Yawata-hama, dans la préfecture de Ehime. Lorsqu'il était encore à l'école primaire, la lecture des "Notes de bourlingues bagarreuses dans le monde" de Mitusuyo Maeda, le célèbre judoka qui inspira "Gracie Jûjutu", le fit se passionner pour le judo. Mais ce fut à l'Ecole des Arts Martiaux Busen de Kyoto qu'il communia réellement avec la quintessence de cet esprit.

Fondée par la Dai Nihon Butoku-kai (Association des Vertus Militaires du Grand Empire du Soleil Levant), l'Ecole Busen de Kyoto était la seule école du Japon spécialisée dans la formation aux arts martiaux. Pour mon premier examen d'entrée je commençai par échouer sur la visite médicale. Les traces d'une intervention chirurgicale pratiquée à la suite d'une pleurésie contractée dans mon jeune âge ne plurent pas au médecin. Je m'inscrivis à l'Université Ritsumeikan et l'année suivante, je réussis tout de même à me faire accepter à l'Ecole Busen.
Les horaires aménagés de Busen consacraient la matinée à l'étude des matières générales et les après-midi à la pratique des arts martiaux. Les jours où il fallait "pilonner mille fois une prise" n'étaient point rares. Lorsque l'entraînement était terminé, il fallait grimper le Mont Yoshida qui se trouvait derrière l'école. Là on passait une ceinture aux grands arbres, un cryptomère ou un pin bien solide, pour lui asséner à toute volée et à répétition tout le répertoire des prises. Ca, c'était pour apprendre l'endurance, se tremper des reins d'acier. Je me souviens qu'on n'arrêtait pas avant qu'il fit nuit noire (N.d.T. : au Japon, la nuit tombe heureusement beaucoup plus tôt qu'en France.)
A notre époque, on ne connaissait pas les catégories. On ne choisissait pas son adversaire et il fallait déployer d'autant plus de technique qu'il était grand et terrible. Dans un cas pareil, il tombait sous le sens qu'il fallait tout essayer, à gauche, à droite, en avant, en arrierè... ce qu'on appelait "l'assaut tous azimuts". On appliquait des prises qui correspondent au mieux à la taille, poids longueur de bras et de jambes et centre de gravité de l'adversaire. Mais pour acquérir la maîtrise de ces procédés, il n'y avait qu'un moyen, s'exercer dans la répétition inlassable des mouvements.
C'est ce que j'appelai moi "action-réaction" (en francais/anglais dans le texte) et j'en fis d'ailleurs le thème central de mon enseignement à l'étranger. Et à ce titre, l'on peut dire que le judo est tout en finesse, beaucoup plus difficile que le piano, par exemple. Le pianiste s'escrime contre des touches immobiles de son clavier, alors que le judoka a en face de lui un adversaire qui se remue et réagit, en principe, avec la même sagacité et promptitude que lui. Or c'est justement parce qu'il bouge, qu'il fait naître lui-même l'instant où on pourra le jeter en utilisant la force de réaction ainsi produite. C'est ce que m'ont appris mes quatre années d'études à l'Ecole Busen.

La guerre finie, le Quartier Général des Forces Alliées abolit d'un trait de plume le Butoku-kai et l'Ecole Busen. Le Judo Japonais allait désormais se développer dans la mouvance du Kôdôkan.

Le Butoku-kai (Dai Nihon Butoku-kai, ou Association des Vertus Militaires du Grand Empire du Soleil Levant) était une véritable pépinière de gens qui tous auraient pu être montés en vivants exemples de l'âme patriotique du Japon. Etait-ce là la raison pour laquelle on les considérait comme un danger? Je crois vraiment que si cette association avait pu continuer d'exister, le judo serait quelque chose de bien différent, tant sur le plan de la technique que sur celui de l'esprit, de ce qu'il est devenu aujourd'hui.
Les gens du Butoku-kai étaient tous sans exception des individus qui avaient porté la pratique de leur judo jusqu'aux plus hauts sommets. Sans doute devait-il bien exister de pareils hommes au sein du Kôdôkan, mais dans l'ensemble, on rencontrait chez les cadres instructeurs de gens qui ressortissaient davantage au type du chercheur ou du gérant d'entreprise. Jigorô Kanô, son fondateur n'en était pas moins un philosophe d'envergure et je pense bien qu'il avait dû parfaitement comprendre combien en judo était important le rôle des praticiens.
A l'Ecole Busen, lorsqu'on parvenait en quatrième année, on accomplissait un voyage dit "d'austérités formatives du guerrier"(Musha Shûgyô no Tabi) . D'année en année, ce voyage avait des destinations diverses, on se rendait ainsi à Taïwan (alors colonie japonaise, de 1895 à 1945), en Mandchourie (aujourd'hui Chine du Nord-Est, dans la mouvance japonaise de 1931 à 1945), quant à ma promotion, ce fut simplement un périple du Japon.
Le maître Kanô, que je rencontrai lorsque je montai à la Capitale nous tint ce langage : "Vous étes des spécialistes du judo. Je voudrais que vous déployiez aux yeux du monde ses techniques et son esprit."
Ces paroles se gravèrent dans mon coeur, à telle enseigne que même lorsque je me fus installé en France, je ne devais jamais les oublier. Or donc, revenu brièvement au Japon en 1961, j'avais sollicité une entrevue avec le Directeur du Kôdôkan de l'époque, Risei Kanô pour discuter avec lui de l'orientation que devait prendre le monde du judo dans les années à venir. Il s'agissait d'un problème attenant à une divergence de pensée prévalant au Japon et en Europe à propos de questions comme les passages de dan.
L'entrevue qui me fut finalement accordée à ma troisième requête ne durerait pas plus de vingt minutes. Vingt minutes? Mais c'était tout juste le temps d'échanger des salutations. Avant d'entrer dans le vif du sujet, le Directeur m'annonça qu'il se sentait un peu las aujourd'hui, mais que de toute manière il aurait l'occasion de me rencontrer en France où il devait bientôt se rendre. Et finalement, cet engagement également, il ne lui fut pas possible de le tenir.
Plus tard, il me fut répété que le Directeur Kanô en question aurait dit à quelqu'un de son entourage "... qu'il n'y avait pas lieu d'avoir une entrevue". Mieux encore, je devais également apprendre qu'il avait déclaré que "... Michigami n'avait absolument rien à voir avec le Kôdôkan!", et qu'il avait même fortement conseillé à l'Association Hollandaise du Judo de rompre avec moi, qui était tout de même son Conseiller technique le plus haut.
En désespoir de cause, j'écrivis donc dans la revue Bungei Shuju en 1963, c'est-à-dire l'année avant les Jeux Olympiques de Tokyo, un article intitule " Manifeste Explosif contre le Judo du Kôdôkan". Mon intention étant de faire retentir la cloche d'alarme afin de préserver le judo traditionnel et ses nobles valeurs, j'y exposais entre autre la nécessité de procéder à des réformes dans l'organisation. Mais ma voix ne fut pas entendue. Et c'est depuis ce jour que je n'ai plus eu le moindre échange avec le Kôdôkan. Je trouve cela fort regrettable, mais qu'y puis-je?

Propos recueillis par Kazunori Iwamoto, Section Sportive